Test de Lang : fonctionnement, interprétation et place dans le dépistage visuel de l’enfant
Utilisé au quotidien par les orthoptistes, ophtalmologues, pédiatres et médecins généralistes, le test de Lang repose sur des images à points aléatoires dans lesquelles sont dissimulées des formes visibles uniquement si les deux yeux fonctionnent ensemble. En quelques secondes, il offre une information précieuse sur la capacité du cerveau à fusionner les images des deux yeux pour construire une perception cohérente de la profondeur.
Pour les parents, le test de Lang est souvent la première occasion de vérifier si leur enfant « voit en 3D » et si ses yeux travaillent correctement ensemble. Pour les professionnels de la vision, c’est un outil de screening rapide, à la fois robuste et facile à intégrer dans un examen de routine, qui oriente vers des explorations plus complètes en cas de résultat anormal ou douteux.
SOMMAIRE
Qu’est-ce que le test de Lang ?
Le test de Lang est un outil clinique simple, conçu pour évaluer la vision stéréoscopique (la perception du relief en 3D ou stéréopsie).
Son intention principale et son utilité résident dans le dépistage précoce des troubles de la vision binoculaire chez les jeunes enfants.
Voici une définition simple et rapide :
Le test de Lang est une carte rigide de la taille d'une carte postale, inventée dans les années 1980 par l'ophtalmologue suisse Joseph Lang. Sa caractéristique principale est qu'il permet de tester la vision du relief de manière "naturelle", sans nécessiter le port de lunettes spéciales de dissociation (comme des lunettes polarisées ou rouge-vert).
Comment fonctionne-t-il ?
Le test repose sur des stéréogrammes à points aléatoires combinés à une grille lenticulaire (un réseau de micro-cylindres transparents). Cette grille dirige une image légèrement différente vers chaque œil.
Si le sujet possède une vision binoculaire normale (c'est-à-dire si son cerveau parvient à fusionner correctement les deux images), certaines figures cachées (comme un chat, une étoile ou une voiture) se révèlent et semblent **« flotter » en relief**. Inversement, un œil seul ne perçoit qu'un fond de points sans signification.
À quoi sert-il ?
Le test de Lang est très utilisé en dépistage pédiatrique car il est rapide, ludique et utilisable dès le plus jeune âge (dès 6 mois en observant les réactions).
Son objectif clinique majeur est d'identifier des pathologies qui abolissent ou dégradent la vision du relief, notamment :
- Le strabisme (en particulier les microstrabismes, ou syndromes de monofixation, qui sont difficiles à voir à l'œil nu).
- L'amblyopie (mauvaise vision d'un œil) profonde ou l'absence de fusion binoculaire.
Un résultat positif (toutes les figures sont vues) indique que l'enfant a une stéréopsie fonctionnelle, ce qui est très rassurant. Un résultat négatif (aucune figure n'est perçue en relief) est un signal d'alarme justifiant un examen ophtalmologique approfondi.
Pourquoi le test de Lang est-il essentiel pour évaluer la vision stéréoscopique ?
Voici une revue détaillée des différentes versions (Lang I, Lang II, I-R, II-R, et Stereopad), en mettant l'accent sur leurs spécificités techniques et leur rôle clinique.
1. Lang I (Lang-Stereotest I) et Lang I-R (Revised)
Le Lang I est le modèle original, commercialisé en 1983. Il est considéré comme l'outil de dépistage initial par excellence.
| Caractéristique | Description technique et clinique |
|---|---|
| Figures cachées | Une étoile, un chat, et une voiture |
| Disparités | Relativement grossières, courant l'intervalle de 550 à 1200 secondes d'arc. La figure du chat correspond à la disparité la plus grande (1200'') et est la plus facile à percevoir |
| Objectif Clinique | Dépistage rapide de l'absence de stéréopsie ou d'une stéréopsie très dégradée. Grâce à ses grandes disparités, il est adapté aux très jeunes enfants (dès 2-3 ans pour un résultat fiable, voire 6-12 mois en observation) |
| Performance | Le Lang I est souvent considéré comme le plus performant pour détecter un strabisme (y compris les microstrabismes) avec d'excellentes sensibilité (~90%) et spécificité (~95%) dans les études cliniques ciblées sur des patients strabiques. |
| Lang I-R (Révisé) | Introduit en 2020 (R pour Revised), il remplace la version originale (I-O). Les modifications portent sur l'amélioration de la qualité d'impression, la brillance et l'homogénéisation de la luminosité pour réduire les éventuels indices monoculaires, sans changer les figures ni les disparités testées. |
2. Lang II (Lang-Stereotest II) et Lang II-R (Revised)
Le Lang II a été développé en 1989 par Joseph Lang et Claudio Duß
| Caractéristique | Description technique et clinique |
|---|---|
| Figures cachées | Un croissant de lune, un éléphant, et un camion (voiture). |
| Disparités | Plus fines que le Lang I, respectivement 200'', 600'' et 400'' d'arc. La lune (200'') est la figure la plus difficile à percevoir et permet de tester une stéréopsie d'un niveau plus élevé (jusqu'à environ 3,3 minutes d'arc). |
| Particularité | Présence d'une petite étoile visible monoculairement. Cette figure de contrôle n'a pas de relief et sert uniquement à maintenir l'attention des tout-petits et à confirmer qu'ils regardent bien la carte, évitant un échec démoralisant. |
| Objectif Clinique | Utilisé comme complément au Lang I ou pour le suivi, afin de tester une stéréopsie plus fine et surtout pour éviter l'effet d'apprentissage et la triche par mémorisation lors de tests répétés. |
| Lang II-R (Révisé) | Introduit en 2020. Cette révision a spécifiquement corrigé des problèmes d'alignements ou de reflets qui pouvaient rendre l'éléphant (dans l'ancienne version II-O) devinable monoculairement dans de rares cas. La luminosité des planches a été harmonisée avec le Lang I-R. |
Recommandation Clinique (Lang I vs Lang II)
L'usage alterné des deux versions (I-R ou II-R) est recommandé en suivi clinique afin d’éviter toute triche par mémorisation.
- Le Lang I (et I-R) est préférable pour le dépistage initial du fait de ses figures plus grandes et plus facilement repérables par les très jeunes enfants.
- Le Lang II (et II-R) est idéal pour confirmer une bonne stéréopsie (car il teste des disparités plus fines, jusqu'à 200") ou pour la varier les figures lors de réévaluations
3. Lang Stereopad
Le Lang Stereopad est la version la plus récente et la plus polyvalente, lancée en 2018
| Caractéristique | Description technique et clinique |
|---|---|
| Nature | Un dispositif multicartes composé d'un support de présentation où l'on fixe magnétiquement jusqu'à six cartes tests interchangeables |
| Figures/Disparités | Les 6 cartes couvrent un large éventail de stéréo-acuités (du très grossier au plus fin) et proposent des motifs variés |
| Objectif Clinique | Enrichir l'examen en offrant une évaluation semi-quantitative (détermination de la carte la plus fine perçue). Sa flexibilité permet de tester des bébés (certaines cartes avec stries verticales pour la fusion) ou de présenter deux cibles simultanément pour tester la profondeur relative |
| Avantages Professionnels | Le Stereopad permet à l'examinateur d'adapter précisément le test à l'âge et au niveau de coopération du patient. Il vise à fournir un outil plus versatile que les cartes fixes I et II. |
Comment se déroule un test de Lang ?
Étape 1 : Installation et Préparation
- 1. Position du sujet : L'enfant doit être assis face à l'examinateur. Pour les plus jeunes, il est idéal de le placer sur les genoux d’un parent pour favoriser la coopération.
- 2. Distance : L’examinateur doit se placer à environ 40 cm de l'enfant. Cette distance est essentielle, car les disparités binoculaires des figures sont calibrées pour cette distance de lecture standard. La distance peut être ajustée légèrement (entre 30 et 50 cm) si nécessaire, mais il faut rester dans l’axe.
- 3. Conditions visuelles : Le test doit se dérouler dans un environnement calme et bien éclairé (lumière du jour ou néon). Il faut impérativement éviter les reflets directs sur la surface de la carte, qui pourraient gêner la perception du relief.
- 4. Précaution : Si l'enfant porte une correction (lunettes), le test doit être effectué avec sa correction habituelle.
Étape 2 : Présentation de la Carte
- 1. Tenue de la carte : L’examinateur présente la carte (Lang I, Lang II ou Stereopad) bien à plat et perpendiculairement à l'axe de vision de l’enfant.
- 2. Orientation : La carte ne doit pas être inclinée ni tenue de travers. Si l'enfant incline la tête de côté, le test pourrait ne pas fonctionner correctement, car la grille lenticulaire doit être vue sous le bon angle par les deux yeux.
- 3. Manipulation : L'examinateur ne doit pas laisser l’enfant manipuler la carte lui-même, car cela pourrait modifier son orientation et casser la fusion stéréoscopique.
Étape 3 : Instructions et Observation
- 1. Consigne : L'examinateur demande à l’enfant s'il voit "quelque chose de spécial" ou "des images cachées" sur la carte.
- 2. Neutralité des questions : Il est crucial de rester neutre dans la formulation. Il faut éviter de suggérer ce qu'il devrait voir (par exemple, "Est-ce que tu vois le chat ?"), car cela risquerait d'induire une réponse biaisée. Une formulation simple est : "Regarde bien la carte et dis-moi ce que tu vois".
- 3. Observation comportementale (pour les plus jeunes) : Pour les tout-petits qui ne parlent pas encore (dès 6–12 mois en observation, ou 2 ans pour un résultat fiable), on observe simplement leurs réactions. Un enfant qui perçoit le relief peut montrer des mimiques de surprise ou tenter d’attraper l'objet invisible du doigt dans l’air, signe d’un test positif.
- 4. Observation oculaire (pour les professionnels) : L’examinateur doit attentivement observer les mouvements oculaires. Un enfant qui perçoit un objet en relief aura un regard fixe et soutenu sur la zone correspondante. Un enfant qui ne voit rien balayera la carte du regard rapidement sans point de fixation stable, puis détournera le regard par désintérêt.
Étape 4 : Validation et Durée
- 1. Encouragement : Dès qu’un objet est identifié correctement (par exemple, l'enfant pointe l'étoile sur le Lang I), il faut le féliciter et l’inciter à trouver les autres figures cachées ("Très bien, est-ce que tu en vois un autre qui ressort de la carte ?").
- 2. Vérification de la profondeur (si possible) : Pour les enfants plus âgés ou coopérants, on peut leur demander de juger la profondeur relative : "Lequel est le plus en avant ?". Par exemple, sur le Lang I, le chat (1200 secondes d'arc) apparaît le plus en relief.
- 3. Durée : La passation doit être rapide. Si l’enfant a une stéréopsie normale, il repère généralement une ou plusieurs formes en moins de 20 à 30 secondes. Si après environ une minute l'enfant ne voit toujours rien, il est recommandé d'arrêter le test pour éviter de le frustrer inutilement.
Étape 5 : Contrôles et Interprétation
Le résultat peut être positif, négatif ou douteux.
- Test Positif (Réussi) : L’enfant localise et nomme correctement tous les objets cachés (chat, étoile, voiture pour le Lang I). Ce résultat indique une vision stéréoscopique fonctionnelle au niveau testé.
- Test Négatif (Échec) : Aucune figure en relief n’est identifiée. L’enfant peut décrire uniquement un fond de points ou l'étoile monoculaire (dans le cas du Lang II). Ce résultat justifie un examen ophtalmologique approfondi pour rechercher strabisme, amblyopie ou autre trouble binoculaire.
- Test Douteux : L’enfant ne repère qu'une seule des figures (par exemple, il voit l'éléphant mais pas la lune sur le Lang II). Cela suggère que la stéréopsie est altérée ou que la coopération était insuffisante. Il est conseillé de répéter le test plus tard.
Contrôles essentiels (Anti-Triche et Validation)
Pour s'assurer que l'enfant ne devine pas par hasard ou mémorisation :
- Contrôle Monoculaire : Après une réussite, demandez à l’enfant de fermer un œil. Si l'objet perçu en relief disparaît instantanément, cela prouve que c'est bien la vision binoculaire (stéréopsie) qui est testée, et non un indice monoculaire.
- Contrôle de Mémorisation : Si l’enfant nomme les figures trop vite, tournez la carte à 90 degrés (à l’envers ou verticalement). Dans cette orientation non prévue, l’effet stéréo disparaît. S’il prétend toujours voir les figures, il est en train de tricher par mémorisation. L'utilisation alternée du Lang I et du Lang II est aussi recommandée pour éviter l'effet d'apprentissage.
En respectant cette procédure, le test de Lang reste un outil de dépistage rapide, ludique et fiable pour évaluer la présence de la vision en relief.
Le déroulement du test de Lang est en quelque sorte une scène de théâtre : la carte est la scène, et la grille lenticulaire est l'éclairage spécial. Si les deux yeux de l'enfant (le public) travaillent ensemble en fusion (lumière binoculaire), les acteurs (les figures) apparaissent soudainement en 3D. Mais si l'un des yeux ne participe pas (lumière monoculaire), le décor redevient plat, ne montrant qu'un fond de points sans signification, prouvant que la magie (la stéréopsie) est absente.
Synthèse technique comparative des versions
Les tests de Lang utilisent la distance standard de 40 cm pour calibrer leurs disparités.
| Version | Figures en relief | Disparités clés (secondes d'arc) | Statut monoculaire | Rôle clinique principal |
|---|---|---|---|---|
| Lang I-R | Étoile, Chat, Voiture | 550'' - 1200'' (Chat est le plus gros) | Aucune figure visible monoculairement (théoriquement). | Dépistage initial (grossier), très bonne détection des strabismes manifestes ou microtropiques. |
| Lang II-R | Lune, Éléphant, Camion | 200'' - 600'' (Lune est le plus fin) | Contient une étoile monoculaire (contrôle de fixation). | Test de confirmation (stéréo plus fine), éviter la mémorisation du Lang I. |
| Stereopad | Varié (6 cartes magnétiques) | Large éventail de disparités. | Dépend des cartes utilisées. | Versatilité, évaluation semi-quantitative et usage chez le nourrisson. |
Note pour les professionnels: Rappelez-vous que les tests de Lang sont des tests de stéréopsie globale. Ceci est fondamental, car cela les rend plus sensibles aux microstrabismes (syndromes de monofixation) qu'un test de stéréopsie locale (comme le Titmus cercles). Un patient peut réussir un test de stéréopsie locale tout en échouant au Lang (global). L'échec au Lang signale donc une anomalie significative de la fusion binoculaire.
En définitive, l'évolution du Lang I et II vers les versions révisées (I-R et II-R) garantit une fiabilité accrue en réduisant les artefacts techniques, tandis que le Stereopad représente l'adaptation du concept à une approche plus quantitative et modulable.